L’édito

Le réel existe-t-il encore ?

Il y a une certaine indécence à poser la question quand on comprend ce qui se passe en Ukraine. Pas forcément ce qu’on sait, ni ce qu’on voit. C’est bien là le problème. 

Par Xavier Dordor, publié le 09/03/2022 à 16:24, mis à jour le 09/03/2022 à 16:24.

Le réel existe-t-il encore ?
© Unsplash

Il y a quelques jours, lors d’une balade sur un réseau social, je vois une image de guerre parmi d’autres et qui m’interpelle peut-être même plus que les autres. Pour découvrir peu à peu que c’est un jeu vidéo au réalisme saisissant. Je râle bien sûr sur la confusion possible entre réalité et fiction. Ce matin écoutant France Inter, j’entends qu’un des protagonistes du conflit, si ce n’est deux, réalise des clips de guerre avec l’insertion d’images anciennes et les diffuse comme actu dans les médias du monde entier. La semaine dernière, c’est le récit des 13 soldats héros de la résistance qui se trouvait être une fiction de propagande.

Ce déluge d’images est préoccupant car il se substitue au réel perçu comme vrai. Et chacun de s’indigner en réclamant ce fameux réel. Mais quel est-il ? Qu’est-ce qui confère le caractère réel à une image ? Au commencement, on a pensé que c’était l’émetteur qui l’avait simplement capté et diffusé. Puis le doute fait qu’on a vérifié celui-ci mais avec la marge d’erreur du fact-checking et la propre interprétation du « checkeur », ce ne pouvait être définitif. A minima. Puis les partisans d’autres thèses ont analysé que le réel c’est ce qui était perçu comme tel par le récepteur, ou qui était partagé dans une vision commune par le créateur et le récepteur du texte, de la photo ou de la vidéo. Chacun de s’indigner de ce raccourci du réel au réalisme. Remarquons qu’il est pourtant structurellement pertinent, et nous est quotidien dans tous les phénomènes d’images ou d’opinions du plus banal au plus complotiste. De tous ces mots réel, réalisation, réalisme, il manque le plus important : la réalité. Elle est indépendante de nous, c’est cela la vraie différence. Et seule la raison permet peut-être de l’approcher par la rationalité, mais celle-ci, on le sait est réductrice. Aujourd’hui avec le métavers, on touche à la réalité qui devient virtuelle ou augmentée. Opportunité technologique et simple abus de langage de valorisation du réel ? « Imaginer c’est hausser le réel d’un ton » disait Gaston Bachelard. 

NB : En ce qui concerne l’actualité, on peut malheureusement citer Karine Tuil (le Monde des Livres / 2015). « Chaque tragédie révèle notre rapport au réel ».

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