Entretiens

« Il faut soutenir toutes les entreprises de l’événementiel pour ne pas perdre des savoir-faire ! »

Après une année 2020 catastrophique pour le secteur événementiel, comment penser 2021 dans un contexte toujours incertain ? Quelles priorités pour les acteurs et les institutionnels de la filière ? MyEN fait le point avec Frédéric Pitrou, délégué général d'UNIMEV. 

Publié le 06/01/2021 à 11:27, mis à jour le 07/01/2021 à 10:28.

FREDERIC PITROU
© DR

L’Union Française des métiers de l’événement (UNIMEV) publie un Manifeste dans le contexte que l’on sait. Quels sont la genèse et les objectifs de ce document-cadre ?

Le projet de ce Manifeste a émergé au début de cette crise que nous n’imaginions pas durer si longtemps. Dès le mois de mars, nous avions l’idée de remettre à plat et en lumière tous les intérêts que pouvaient revêtir l’événementiel d’un point de vue économique, social, territorial notamment. Un contenu étayé par des chiffres vérifiables car nous avons assisté durant cette crise à une surenchère de chiffres qui n’étaient pas forcément bien expliqués. Le Manifeste avait donc vocation à recentraliser des données chiffrées et sourcées, remises en perspective dans leur périmètre.

Qu’entendez-vous par « surenchère de chiffres » ?

Prenez par exemple le nombre de collaborateurs liés aux activités événementielles et touristiques. Nous avons entendu parler de 335 000 (retombées sociales des événements corporate), puis 450 000 personnes (retombées sociales de tous les événements professionnels), des chiffres auxquels se référait évidemment le gouvernement pour son plan d’indemnisation. Quand nous avons fait le travail minutieux d’évaluer combien de personnes travaillent directement pour les entreprises des associations qui les représentent légitimement, nous arrivons à 40 000 collaborateurs événementiels. Ce n’est donc plus du tout la même chose pour nos interlocuteurs au ministère qui réalisent alors qu’ils ont 10 fois moins de personnes à indemniser dans notre périmètre strict.

Quelles données sont plus particulièrement à mettre en évidence ?

Ce qui est important également, c’est le poids de notre secteur dans l’économie. Notre industrie des foires, salons, congrès et événements pèse :

  • 20 milliards d'euros au bénéfice de la production événementielle,
  • 19,5 milliards d'euros au bénéfice des acteurs du tourisme et du commerce local
  • 34,5 milliards d’euros de transactions générées entre participants à l'occasion de ces salons et foires.

Ce sont ces chiffres qui nous ont été très demandés par le gouvernement afin d’évaluer les pertes à la fois directes mais aussi indirectes du secteur. Rappelons que tout le business généré habituellement par les événements n’a pas été au rendez-vous, même si Internet a pu en absorber une partie.

2020 est désormais derrière nous. Avez-vous un chiffre plus précis de la baisse de chiffre d’affaires de la filière ?

Globalement, nos entreprises sont à plus de 80% de pertes de chiffre d’affaires. Il peut y avoir des variations entre spécialistes évidemment, les sociétés du numérique qui ont pu proposer rapidement des solutions digitales s’en étant mieux sorties. Mais les organisateurs, les gestionnaires de sites, les prestataires du monde de l’exposition sont vraiment gravement touchés puisqu’ils n’ont pu travailler pleinement que durant les 2 premiers mois de 2020.

Le chapitrage du Manifeste met aussi en avant l’importance sociétale des events. Est-ce que le gouvernement vous a semblé sensible à l’argument ?

Grâce à ce travail qui distingue les argumentaires, les pouvoirs publics vont désormais avoir un document synthétique et étayé. Sont-ils sensibles à nos arguments ? Je veux croire que oui, et j’en veux pour preuve les aides reçues par le secteur. Notre Manifeste est sorti il y a quelques semaines, il sera diffusé à tous les élus et parlementaires du pays mais aussi aux relais d’influence et aux médias. Il est primordial de faire connaître tous les enjeux et la valeur de notre secteur.

Y a –t-il eu une gestion et une vision européenne des acteurs des events de cette crise ?

Nous avons bénéficié de tout le travail de veille effectué par Promosalons et par l’UFI. Cela nous a permis de suivre la situation de nos homologues dans les autres pays. Même si les Allemands ont eu quelques possibilités d’ouvertures de salons, l’Italie également au mois de septembre et que la Chine redémarre fortement, globalement tous les pays sont dans la même situation que nous.

2020, annus horribilis pour nombre d’entreprises. Comment se portent les membres d’UNIMEV ?

Nous avons réalisé un grand sondage il y a quelques semaines avec près de 1700 entreprises. 50% d’entre elles estiment que c’est en avril 2021 que le pronostic vital de leur entreprise sera engagé. Certaines se sont placées sous procédure de sauvegarde comme Comexposium, un exemple qui d’ailleurs a été très révélateur pour les pouvoirs publics. Aujourd’hui l’inconnue porte sur les conditions du maintien des aides financières. Nous n’avons aucune garantie sur ce qui va se passer au-delà du 31 janvier 2021. On parle d’activité partielle mais sans en connaître les conditions précises, les aides financières évoluent en fonction des mois et des textes réglementaires.

Nous demandons que l’ensemble des entreprises qui constituent notre chaîne de valeur soient soutenues

Toutes ces aides n’ont représenté que 50% de la charge d’exploitation des entreprises, ce qui a épuisé les trésoreries. Nous demandons que l’ensemble des entreprises qui constituent notre chaîne de valeur soient soutenues. Si un maillon devient défectueux ou disparaît, l’activité ne pourra pas reprendre ni faire face aux grandes échéances notamment des méga-events de 2023 et de 2024.

Par ailleurs, l’annulation sur 2021 de grands salons tels que le Salon International de l’Agriculture ou le Salon International de l’Aéronautique et de l’Espace témoignent de la grande fragilisation des entreprises de notre filière. Cela montre également que notre secteur ne peut pas redémarrer du jour au lendemain et que les grands événements s’organisent sur de longues périodes.

Comment se profilent les prochains mois ? Le début de la vaccination va–t-il dégager l’horizon ?

La situation sanitaire ne permet pas au gouvernement d’avoir une visibilité à plus de 3 semaines et nous lui demandons de nous dire ce qui va se passer dans 4 mois. L’exercice n’est donc pas simple. Le vaccin et la campagne de vaccination devraient néanmoins permettre de donner une perspective, à condition que tout cela ne prenne pas un temps fou comme cela se profile. Les plus optimistes d’entre nous espèrent une reprise en juin 2021, les autres tablent plutôt sur le mois de septembre.

Comment a été perçue la digitalisation des events ? Génère–t-elle des inquiétudes ?

Sur cette question, les retours de nos membres sont hétérogènes. Il y a ceux qui considèrent que les événements vont évoluer vers des formats hybrides, notamment parce que cette crise a fait toucher du doigt qu’un certain nombre de rendez-vous physiques pouvaient se dérouler en virtuel. Nous avons aussi ceux qui ont fait des expériences digitalisées de salons peu concluantes en termes de business et seraient donc plus favorables au présentiel. Il est difficile de juger de la viabilité d’un événement dès sa première édition, et ce qu’elle soit physique ou digitale.

Beaucoup d’organisateurs de foires, salons, congrès souhaitent que les choses redeviennent comme avant et qu’on arrête de communiquer via Zoom et consorts

Ce qui est certain c’est que le 11 mai, lors du premier déconfinement, les avis étaient unanimes pour renouer avec les événements physiques. Et beaucoup d’organisateurs de foires, salons, congrès souhaitent que les choses redeviennent comme avant et qu’on arrête de communiquer via Zoom et consorts. N’oublions pas tout le off des événements que l’on perd avec le digital. Il est encore trop tôt pour voir se dégager une vraie tendance, d’autant que celle-ci dépend évidemment de la demande des clients en termes de liens maintenus, de contacts générés, de projets noués, d’investissements communs, de nouveaux partenariats.

Pensez-vous que l’Etat sera au rendez-vous en termes de commandes publiques pour booster la reprise de l’activité événementielle et raviver le lien social ?

Nous ne sommes pas dans ce niveau d’échanges avec le gouvernement pour l’instant. Au début de la crise, Bruno Le Maire nous avait assuré que l’Etat serait présent et honorerait ses engagements en la matière, il n’y a pas de raison qu’il fasse marche arrière. D’autant que le besoin de rassembler et de réunir ses communautés est aussi valable pour le gouvernement.

Les grands événements tels que la Coupe du monde de rugby et bien sûr les JO de 2024 commencent également à être en ligne de mire ?

Il est évident que si ne nous sauvons pas toutes les entreprises de la filière nous risquons de perdre des savoir-faire. Ce ne sont pas nécessairement les entreprises de premier niveau qui sont à surveiller mais celles qui assurent la sécurité, l’accueil, le nettoyage, la manutention etc. Il serait désastreux en termes de responsabilité sociétale et d’acceptabilité, d’avoir à faire appel à des entreprises étrangères lors de ces grands rendez-vous planétaires pour pallier la disparition de spécialistes nationaux lors de cette crise.

Est-ce que le secteur réfléchit à une grande "mobilisation de filière" pour « se faire beau » et être audible du plus grand nombre ?

Nous prévoyons un événement en janvier 2021 dédié à la filière événementielle qui devrait se dérouler dans plusieurs métropoles françaises. Cette crise a généré le besoin de rassemblements locaux, comme nous avons pu le voir notamment à Lille, Lyon, Montpellier, Bordeaux ou Marseille par exemple où des collectifs se sont créés. C’est donc sur cette base territoriale que l’événement de janvier est pensé, avec une mobilisation statique devant plusieurs lieux symboliques comme le ministère de l’Economie.

Quelles sont les prochaines actions d’UNIMEV et votre feuille de route en ce début janvier ?

Notre feuille de route repose sur deux axes principaux :

  • Mener les actions d'influence utiles pour maintenir et adapter les aides et faire en sorte que toutes les entreprises de la filière soient en vie au sortir de ce long tunnel. Il faut que les aides ne s’arrêtent pas le jour où l’on autorisera de nouveau les événements. Quatre mois d’aides supplémentaires seront nécessaires pour accompagner la reprise de l’activité et redonner confiance dans les événements comme des lieux essentiels à l’innovation, la promotion, la créativité, l’engagement, l’export.
  • Réfléchir à la conception et la réalisation des événements de demain. Ils devront être plus responsables, plus digitaux, apporter encore plus de contenus, être plus créateurs d'émotions etc., ce qui nécessite de nouveaux modèles notamment en termes d’équation économique. C’est par l’intermédiaire du « pas de côté » que propose l’Innovatoire à ses abonnés que nous encourageons l’innovation et soutenons l’inspiration des professionnels.

Cette crise terrible a néanmoins démontré une certaine solidarité entre les acteurs, l’importance d’avoir une représentation de filière et d’être rassemblé. Néanmoins, aux yeux du gouvernement cette filière apparaît encore trop dispersée avec de trop nombreux interlocuteurs. UNIMEV a joué son rôle de centralisateur mais il faut éclaircir le panorama pour les pouvoirs publics ! Peut-être faudrait-il créer une inter-filière pour gagner en lisibilité ?

Enfin, nous n’avons toujours pas de ministère véritablement attitré. Nous sommes tantôt rattachés à Bercy, tantôt aux secrétariats d'état des PME, du Tourisme, du Commerce Extérieur. A l'instar de la culture, nous souhaitons un rattachement unique, de préférence Bercy, étant donné le rôle crucial des événements pour les filières d’excellence françaises.

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