Entretiens

« Il nous appartient à tous de devenir les spécialistes des événements hybrides. »

Comment Havas Events a-t-elle vécu la crise ? Et comment s'annonce la reprise ? Edouard Auger, CEO de l'agence de communication événementielle Havas Events, raconte la période de crise vue de l'intérieur, les changements depuis l'annonce du déconfinement, et fait part de sa vision pour l'avenir. Interview au long cours. 

Publié le 09/06/2020 à 15:11, mis à jour le 04/11/2020 à 19:10.

Edouard Auger Havas Event
© DR

Comment Havas Events a-t-elle vécu la crise ?
Nous avons vécu la crise de plein fouet, comme l’ensemble des acteurs de la filière. 
Nous avons dû réagir vite, avant même le confinement, pour préserver certains événements programmés en février ou mars en opérant une bascule vers des formats digitalisés (Oppo, LVMH, Véolia…). Nous avons dû nous adapter à cette contrainte soudaine. 
Durant le confinement, nous avons évidemment mis en place le télétravail, et déployé de nombreux moyens pour garder le lien à distance et accompagner nos collaborateurs dans cette période inédite. Paradoxalement, nous n’avons plus produit mais avons dû faire face à la gestion complexe des nombreuses annulations en cascade et reports pour 2021. Des initiatives internes ont vu le jour. Nous avons organisé des temps forts pour maintenir le lien, notamment des « classmates » qui invitaient régulièrement un collaborateur à partager avec notre collectif une passion qui lui est propre. Ce rendez-vous très plébiscité va perdurer dans les mois qui viennent ce qui prouve que la crise sanitaire nous aura permis paradoxalement d’inventer de nouveaux formats d’animation du collectif.

Depuis le déconfinement progressif, qu’est-ce qui a changé ?  
Pendant le confinement, nos clients n’étaient pas encore disposés à réfléchir à « l’après » en raison d’un manque de visibilité tant sur l’évolution de la situation sanitaire que sur les impacts économiques. Depuis un mois, nous rééchangeons avec eux. Nous sommes dans une dynamique de conception de nouveaux formats agiles, pertinents et efficaces car la plupart d’entre eux doivent faire face à de nouvelles contraintes budgétaires. Reconnecter avec leurs audiences est pourtant essentiel. Il faut trouver les moyens de le faire dans un contexte économiquement dégradé. 

Malgré ces contraintes, sentez-vous véritablement une reprise de l’événementiel ? 
Créer l’événement et rassembler reste décisif. Les visioconférences et autres webinaires ont été très utiles mais l’audience s’est lassée des outils utilisés pendant le confinement et de leur image appauvrie. Nous avons perdu en quelque sorte la sacralisation de la prise de parole et de l’échange. Les entreprises ressentent aujourd’hui le besoin de renouer le contact différemment. En reprenant le pouvoir sur l’image, en réinvestissant sur la mise en scène, en orchestrant des prises de parole plus structurées, tout cela en privilégiant le canal digital jusqu’à nouvel ordre. 

Est-ce très différent d’organiser un événement 100% digital par rapport à un événement physique ?
En mode digital, notre mission d’agence consiste à bâtir un format adapté, à construire la narration et la pertinence des contenus diffusés, à théâtraliser tout en garantissant la fiabilité des moyens techniques utilisés pour un déploiement vers une audience parfois élargie à l’international. Beaucoup de fondamentaux en somme restent identiques.
Mais la bascule en mode plateau connecté nécessite une préparation et un coaching spécifique des intervenants. On ne prend pas possession d’une scène face à un large public de la même manière que l’on intervient sur un plateau broadcast seul face aux caméras. 

Selon vous quelles nouvelles tendances et formats nés durant le confinement devraient perdurer ?
La digitalisation des formats est une tendance forte qui devrait perdurer tant qu’elle s’avère efficace. Le mode digital présente une facture économique avantageuse dès lors qu’il limite les investissements en matière de location de lieux, de coûts de déplacement, d’hébergement, de restauration des publics. Il peut démontrer en outre son efficacité dans certains cas. Connecter des publics qui ne se seraient pas déplacés physiquement. Répondre à une ambition affichée de dépasser les frontières géographiques d’une prise de parole : un de nos clients qui organise un événement interne annuel dédié à l’innovation imagine aujourd’hui élargir le niveau d’engagement de son initiative à une audience plus internationale grâce à un format digitalisé, décloisonné, plus global, plus participatif et plus inclusif. Pour finir, il peut propulser une marque dans un format original et disruptif pour lancer un produit, présenter une initiative, partager un plan de transformation : émission TV ou radiophonique, WebTV, Live podcast, Streaming@Home…
Dès lors que ces formats digitaux prouveront leur efficacité tactique et économique, ils perdureront et trouveront une place sur l’échiquier futur de notre métier. 

Comment rendre les formats digitaux plus attractifs ? Peuvent-ils être véritablement novateurs ? 
Les possibilités sont multiples : utiliser des plateaux broadcast pour reprendre le pouvoir sur l’image, écrire de nouvelles narrations de live à la manière d’une émission avec chroniqueurs internes et externes, livrer l’essence du message au travers d’un live compact et déployer de manière complémentaire toute une richesse de contenus chauds et froids via une plateforme digitale dédiée, imaginer des workshops en multi-room avec des solutions de (e)matchmaking pour l’interne… Il est possible d’imaginer des formats attractifs et disruptifs, oui. Mais ne nous y trompons pas, cela nécessite aussi du temps de préparation et un investissement minimum pour servir fond et forme.

Quid du présentiel ?
Aujourd’hui, nous avons de nombreuses demandes pour des événements digitalisés. Nos clients s’interrogent sur la meilleure manière de préserver le lien via ce canal. Cependant, les dernières annonces gouvernementales liées au déconfinement ont beaucoup rassuré, et certains se projettent déjà vers un retour au présentiel à l’automne. Si ces annonces s’accompagnent très vite de règles claires sur les jauges de rassemblement autorisés, nous pourrions assister à un retour à des événements « traditionnels » plus rapidement que prévu. Il faudra toutefois composer avec le facteur économique qui restera une préoccupation majeure des annonceurs. 

La crise peut-elle être vue comme une opportunité ? 
Il serait cynique de parler d’opportunité alors que la crise a brutalement impacté tout notre secteur et que ses acteurs les plus fragiles ne s’en relèveront pas. Ce qui est sûr, c’est que la crise nous oblige à nous réinventer, à agréger et intégrer de nouvelles expertises. En l’espace de quelques mois, nous avons dû repenser notre modèle pour l’adapter aux contraintes qui s’imposent à nous : devenir des experts des plateformes digitales et de leurs multiples fonctionnalités, maitriser encore plus les flux et leur bande passante, les nouvelles techniques de diffusion, tout en préservant les fondamentaux de notre métier : l’alchimie du live… Ces nouveaux contours d’expertise sont un nouveau terrain de jeu qui fait grandir les chefs d’orchestre que nous sommes. Et la chance que nous avons, c’est que le pragmatisme est de rigueur dans l’événementiel. Alors on apprend vite ! 

Finalement, comment voyez-vous l’avenir ?
Pendant le confinement, j’étais inquiet. Aujourd’hui, je suis confiant sur notre capacité de rebond. Je l’affirmais dans une tribune récente, il va pourtant falloir nous armer de courage. Car promouvoir l’événement dans le contexte actuel va relever du combat quand bien même nous sommes très nombreux à penser qu’il est essentiel à la relance économique de notre pays. 

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