Entretiens

« Les deux concepts d’information et de communication, essentiels à la science et à la démocratie, sont aujourd'hui dévalorisés. »

Revaloriser la communication, réfléchir au concept d'information, montrer que ces deux notions sont au coeur des connaissances... tels sont les objectifs de la rencontre-débat organisée par la revue Hermès, et baptisée "L'information et la communication au coeur de la connaissance." Dominique Wolton, directeur de recherche au CNRS et directeur de la revue Hermès, évoque ses travaux sur le sujet, et nous en dit plus sur l'événement.

Publié le 28/08/2019 à 17:00, mis à jour le 04/11/2020 à 19:10.

Photo de Dominique Wolton
© DR

« L’information et la communication au cœur des connaissances ». Pourquoi un tel titre ?
Toutes mes recherches depuis 30 ans ont visé à défricher le champ des recherches dans l’information et la communication. Or, la communication a été largement dévalorisée toutes ces années, en étant assimilée à de la manipulation, de l’influence. 
Avec cet événement, nous voulons revaloriser la communication et réfléchir au concept d’information. On a tendance à croire que la communication est subjective et l’information objective. Les deux sont subjectives car ce sont deux activités humaines. 
Nous voulons également montrer que la communication est au cœur des connaissances puisque l’interdisciplinarité pratiquée par les scientifiques, c’est de la négociation. Or, communiquer c’est négocier. On voudrait bien partager mais on négocie parce qu’on n’est pratiquement jamais d’accord. Le cœur des sciences de demain c’est l’interdisciplinarité, c’est aussi la négociation, donc la communication.
Finalement, cette demi-journée veut montrer que l’information et la communication sont toutes deux au cœur des connaissances et des rapports avec la société.

La lecture des  thèmes abordés est vraiment étonnante. Comment ont-ils été choisis ?
Ces cinq thèmes illustrent nos recherches, et ce sont cinq questions fondamentales pour saisir les enjeux politiques et scientifiques qui nous attendent : 

-        Les algorithmes, qui ne sont pas une réalité objective mais une construction humaine. 

-        L’interdisciplinarité, parce qu’il n’y a pas de progression de connaissance sans interdisciplinarité. Et en même temps, l’interdisciplinarité est très difficile, ce sont des rapports de force, de la négociation. C’est le cœur de la communication. 

-        La communication et la politique, car les sciences ne peuvent être séparées de la société. Quand on fait de la recherche fondamentale, quand faut-il être indépendant du pouvoir politique, quand faut-il l’entendre ?

-        Les machines et la traduction. Le passage d’une langue à l’autre demande une intelligence humaine considérable. Les traducteurs, tout comme les archivistes, ne pourront pas être remplacés par des machines. 

-        L’Europe et le monde. Le génie de l’Europe c’est qu’on n’a rien à se dire et qu’on arrive quand même à cohabiter. L’Europe est en avance sur l’incommunication, 

Quel est l’objectif de cette Rencontre-débat ?
Tout d’abord, il s’agit de montrer au travers des travaux de la revue Hermès, que les recherches sur l’information et la communication ont avancé à grand pas. Mais aussi, prouver que ce ne sont pas des questions secondaires. Il faut qu’il y ait une discussion dans l’espace public à ce sujet. Pour moi, les questions de communication, d’incommunication, sont aussi importantes que l’écologie. 

"La communication aussi importante que l’écologie", vous allez en surprendre plus d’un !
Nous effectuons aussi beaucoup de travaux sur la mondialisation et la diversité culturelle. La diversité humaine est fondamentale à préserver au même titre que la diversité écologique. Une des batailles théorique et politique que je mène est de dire qu’il y a une distorsion aujourd’hui. La préservation de la diversité des cultures humaines n’est pas reconnue alors qu’elle est aussi importante que celle de la nature. La question de la communication, donc du respect de l’autre, est fondamentalement politique. Or, le respect de l’autre passe par la communication. Et par la négociation puisqu’on voit bien qu’on ne se comprend pas et qu’on est souvent en désaccord.

Depuis les débuts de vos travaux sur la communication, Internet a-t-il véritablement tout bouleversé ?
Oui et non. Internet a créé l’abondance de l’information, ce qui est un progrès, mais a révélé l’incommunication. C’est une première rupture. Aujourd’hui, on découvre une dévalorisation de l’information. C’est une deuxième rupture. Ces deux concepts d’information et de communication, essentiels à la science et à la démocratie, sont dévalorisés. Il peut y avoir simultanément communautarisme et explosion de l’information.

Pourquoi ?
Il n’y a jamais eu autant d’information, jamais eu autant de tuyaux, de réseaux. On pourrait penser que le monde est plus informé, plus transparent, plus objectif, mais on ne se comprend pas. Donc, la mondialisation de l’information et de la communication n’améliore pas la communication entre les individus, entre les peuples ou entre les cultures. On a pensé que la vitesse de circulation, l’abondance des réseaux faciliterait la compréhension des hommes entre eux. Ce n’est pas suffisant. On n’a jamais autant échangé d’informations entre nous. Mais l’information ne fait plus la communication. Aujourd’hui, nous faisons face à un nouveau paradigme : penser l’incommunication, malgré l’abondance d’information et de communication.

La multiplication des réseaux a aussi facilité la propagation de fausses informations, les fake news…
Le paradoxe des paradoxes, c’est que, pendant tout le 20e siècle on a dissocié l’information, considérée comme objective, sérieuse, de la communication, vue comme de la manipulation et de l’influence. Aujourd’hui, on assiste à la dévalorisation du concept d’information. Les fake news sont partout. L’information est devenue du mensonge. 
Que faire pour les sauver car elles sont indispensables du point de vue de la connaissance et du point de vue de la société ? S’intéresser à l’information et à la communication, c’est changer de regard sur les sciences, sur les connaissances et la société. C’est réaliser que plus la production de l’information est facile plus la communication est difficile. C’est pour ça que l’interdisciplinarité est essentielle pour élargir et que travailler sur le concept d’incommunication est très novateur. 

Pour finir, que diriez-vous aux professionnels de la communication et des médias pour les inciter à assister à ces rencontres débats ?Les communicants et journalistes ont tendance à minimiser l’importance de l’information et de la communication.
Le fait de venir leur permettra de réaliser que derrière leur métier se cachent de grandes questions théoriques et politiques, auxquelles ils peuvent participer. Les métiers de la communication, comme je l’ai souvent écrit, sont beaucoup plus importants qu’on ne le croit.  

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