L’édito

God save the TV

Au même moment où la BBC envoie un signal planétaire pour accompagner la ferveur d’un pays, TF1 et M6 envoient bien malgré eux un signal français mais aussi international d’une certaine incapacité économique et sociétale.

Par Xavier Dordor, publié le 21/09/2022 à 12:32, mis à jour le 21/09/2022 à 18:25.

God save the TV.
© DR

Le 1er signal illustre la capacité toujours actuelle de la TV à rassembler les populations, le deuxième met en exergue toutes les difficultés des appareils publics à l’égard des médias. Emotion d’une nation  contre pesanteur d’une administration. Positive attitude contre frilosité. Faire partager l’instant contre fragiliser le futur. 

On peut compter tout juste 16 mois entre le coup de trompette initial de l'annonce du projet par les deux chaines et son clash final. Non par un sabordage des acteurs eux même mais par une décision qui fait autorité (sans faire réellement justice...), plus administrative que strictement professionnelle et qui les place dans une équation économique impossible. 

Il ne m’appartient pas de mettre en cause cette décision, mais juste de réfléchir sur le processus. Plus d’un an de consultations et des milliers d’articles mettant en scène des arguments connus depuis bien longtemps. Rien de nouveau dans les conclusions, on pouvait les écrire globalement, il y a un an. Si on pose le principe d’une compétition des chaines TV  avec les gafa et les plateformes internationales, si on pense que la menace de l’entertainement et de l’information porte précisément sur ce point, alors il faut pousser à cette fusion des chaines. Même l’audiovisuel public s’accordait sur cette position. A contrario, si on limite le périmètre à l’hexagone franco-français, voire à la seule TV linéaire, alors la question de la concurrence nationale et des parts de marché reste posée.

Cette dialectique était déjà  construite au printemps 2021 ! Et l’enjeu sociétal en était précisément le coeur. Mais sa mise en scène publique et politique depuis 16 mois a enflammé les débats leur faisant parfois perdre de leur simple rationalité.

Cette décision montre le poids de l’administratif sur l’entreprenariat mais surtout elle illustre l’effet dramatique sur des acteurs en bonne santé qui envisageait un futur commun. Les deux protagonistes de cette fusion avortée en sortent affaiblis. En interne, l’inquiétude de certains salariés est parfois palpable. En externe, où le premier juge de paix est la bourse et le deuxième, les investissements publicitaires des marques. Les deux leviers sont interrogatifs, même si les deux entreprises vont tout faire pour rassurer l'éco système. Elle a illustré le poids de l’encadrement administratif de l’économie dans une époque où le tout médiatique domine.

...l'issue probable progressait sur les réseaux sociaux et dans les rédactions, elle précédait les débats au sein de l’Autorité qui ne pouvait s’en exonérer. 

Cet épisode raconte comment in fine, on peut transformer un vrai projet économique européen qui vient de l’industrie des médias elle-même (notons au passage sa portée européenne, un groupe français acquérant une entreprise à capitaux allemand) en un futur vulnérable sous l’oeil de prédateurs internationaux qui n’en demandaient pas tant et dont la part de marché publicitaire ne cesse de croitre bien au-delà de la part de voix qu’aurait atteint le nouveau groupe.

Ce n’est pas tant la conclusion qui est en cause que la conséquence d’un tel process sur plus d’un an. Un point sensible quand on parle de nouvelles législations européennes sur la liberté des médias. Que les bons sentiments économiques et sociétaux n’engendrent pas les mêmes dérives.

God save the médias.

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